Ibrahima Thioub, Dr.
Professeur
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Né en 1955 à Malicounda (Mbour), Sénégal
Études d'Histoire à l'Université de Dakar et à l'Université Paris 7
Arbeitsvorhaben
L'Esclavage dans la vie quotidienne a Saint-Louis (Senegal): XVIIIE-XIXE Siecles
L'abolition de l'esclavage en avril 1848 n'a pas reçu le même accueil dans les différentes possessions françaises outre-mer. A Saint-Louis du Sénégal, le décret a certes suscité un réel mécontentement des propriétaires d'esclaves qui estimaient que les pouvoirs publics avaient attenté au droit sacré de la propriété privée. L'importance des indemnités qui leur fut accordées n'a pas apaisé leurs ressentiments et ils ont opposé une fin de non-recevoir à toute coopération avec les pouvoirs publics dans la gestion des conséquences négatives de la mesure abolitionniste.Du côté des esclaves, s'est exprimée, de manière festive mais sur une courte durée, la joie de recouvrer la liberté. Nombre d'entre eux sont au demeurant restés au service de leur ancien maître, à titre de salarié. L'étude du statut et des fonctions des esclaves dans la société saint-louisienne de la période esclavagiste, du XVIIIe siècle à 1848, permet de rendre compte de cette situation qui contraste radicalement avec celle plutôt violente qui a prévalu dans les autres colonies françaises en particulier aux Antilles. Outre l'emploi des esclaves dans les activités économiques, seront étudiés leur rôle dans les relations sociales et leurs expressions juridiques dans les espaces privés et publics. Cette étude s'inscrit dans une perspective historique en accordant une importance particulière aux mutations inscrites dans le temps de la ville et de son environnement.
Lecture recommandée :
Thioub, Ibrahima. Patrimoines et sources historiques en Afrique. Union académique internationale, UCAD, 2007.
-. " Regard critique sur les lectures africaines de l'esclavage et de la traite atlantique critique. " En Les Historiens africains et la mondialisation, édité par Issiaka Mandé et Blandine Stefanson. Paris, Karthala, 2005. [traduit en italien " Letture africane della schiavitù e della tratta atlantica ", Passato e Presente, 62, 2004 : 129-146].
-. " L'historiographie de " l'École de Dakar " et la production d'une écriture académique de l'histoire. " En Le Sénégal contemporain, édité par M. C. Diop, 109-153. Paris, Karthala, 2002.
Kolloquium, 16.06.2009
Esclavage et vie quotidienne à Saint-Louis du Sénégal, XVIIIe-XIXe siècles
La Compagnie, toujours lente dans ses opérations, n'avoit pas encore ses bâtiments prêts, lorsque nous vîmes arriver le Bric, le Furet. Le même jour qu'il parut devant la fort, il entra en rivière. Nous procédâmes aussi-tôt à son déchargement. On le répara, et nous le chargeâmes pour le traite. Je parties sur ce navire du fort Louis, le 16 août 1785, à 8 heures du matin.
Mon navire de soixante-dix tonneau, mais léger et fin voilier, avout un équipage composé de vingt-quatre laptots, quarte gourmets, un maître de langue, um charpentier, un capitaine en second, six pileuses, et une douzaine de rapasses. Par laptot. on entend un matelot négre; les gourmets sont les officier ou plutôt les timoniers.
Au départ de son voyage pour le pays de Galam, haut lieu de la traite des esclaves sur le fleuve Sénégal, Saugnier détaille son équipage d'une soixantaine de membres sans préciser qu'ils sont quasiment tous des esclaves. Jusqu'au XIXe siècle, le commerce du haut fleuve, colonne vertébrale de l'activité économique de cette cité insulaire fondée en 1659, ouverte sur l'Atlantique et adossée à un arrière pays africain échappant totalement à son contrôle politique, a totalement dépendu de la force de travail des esclaves. Les maîtres, noirs ou mulâtres, louaient leurs bras à la compagnie à qui la France avait attribué le monopole de la traite en Sénégambie ou leur confiaient quasiment le destin de leurs affaires sans aucune surveillance. Il s'est agit plus souvent de maîtresses puisqu'à Saint-Louis, les propriétaires étaient plus souvent les grandes dames, les Signares, ou leurs descendants. Elles ont acquis leurs richesses en héritant des biens légués par des époux temporaires, employés européens de la compagnie dont les règlements interdisaient le séjour des européennes à la colonie.
Ainsi, les esclaves domestiques dits " de case " ont eu en charge l'achat et le convoyage des esclaves dits " de traite " destinés à l'exportation sur les Amériques au bénéfice des habitants de la colonie et de la compagnie. Cette responsabilité leur a ouvert l'opportunité d'accéder eux-mêmes à la propriété d'esclaves, sans quitter leur statut servile. On comprend pourquoi, tout au long des deux siècles étudiés, plus de la moitié de la population de Saint-Louis est constituée de ces " captifs de case " qui partagent la demeure de leurs maîtres, accomplissent les tâches domestiques, participent à l'approvisionnement en denrées alimentaires des deux quartiers de la ville - Nord musulman et Sud chrétien - et assurent au besoin la défense de l'île. Il n'est pas rare que les employés européens de la compagnie y prennent femme selon le mariage dit " à mode du pays " et ouvrent à leur élue un accès au statut de signare. Cette population servile n'en est pas moins une marchandise qui circule à l'occasion des multiples transactions économiques (nantissement du crédit, mise en gage) et sociales (partie de la dot des filles de maîtres) qui se nouent entre les habitants libres de la ville.
Le type de relation qui se noue entre maîtres et esclaves à Saint-Louis explique-t-il le réel mécontentement des propriétaires opposés au décret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage en tant que texte attentatoire à la propriété privée. Du côté des esclaves, s'est exprimée, de manière festive mais sur une courte durée, la joie de recouvrer la liberté. Nombre d'entre eux sont au demeurant restés à demeure chez leur ancien maître.
Une lecture minutieuse des multiples témoignages des voyageurs de l'époque, des minutes notariales introduites par les traditions juridiques françaises, des archives administratives et des archives privées, permet de répondre à ces interrogations par une lecture de la place des esclaves dans la vie quotidienne de la ville. Il s'ensuivra une réflexion sur le modèle de contrôle des esclaves qui a certainement contribué à atténuer les tensions entre maîtres et esclaves mais a paradoxalement engendré des difficultés majeures dans la mise en œuvre du long processus d'émancipation qui n'a connu son épilogue qu'en 1905 avec l'émission d'un nouveau décret abolitionniste.
Publikationen aus der Fellowbibliothek
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